La loi sur la sélection en licence portée par la ministre Frédérique Vidal n’a pas encore été adoptée par le Parlement, qui commence sa première lecture et qui la votera définitivement au mieux en février ou mars. Or, les universités et les lycées ont déjà commencé à la mettre en œuvre, comme si le projet avait déjà force de loi, comme si nul amendement ne pouvait être apporté au cours de la discussion parlementaire. Non content de chercher à imposer une réforme sous le coup d’une urgence largement construite sur des fausses évidences, le gouvernement méprise une nouvelle fois les institutions démocratiques de ce pays. Ce projet de loi est une tromperie qui vise à mettre fin au principe fondamental de libre accès à l’enseignement supérieur.
Le nombre d’étudiants ne cesse de croître depuis plusieurs années mais les moyens financiers ne suivent pas. Les gouvernements successifs demandent aux universités et à leurs personnels toujours plus d’efforts mais asphyxient le fonctionnement en ne compensant pas (ou très peu) tout ce qui peut contribuer à l’augmentation des dépenses. La dégradation des conditions d’accueil des étudiants se répercute sur les conditions de travail et d’études, notamment par le nombre extrêmement élevé d’heures d’enseignement supprimées (environ 40 000 à l’uB).
Les responsables de cette situation sont les gouvernements successifs qui n’ont eu de cesse de distribuer des miettes aux universités alors que les besoins en matière d’accueil des étudiants sont de plus en plus criants. Les personnels sont à bout ! La dépense moyenne par étudiant.e baisse mais le gouvernement actuel a l’indécence de demander aux universités de renforcer l’accueil et la réussite en licence tout en généralisant la sélection à l’entrée en première année sur la base de capacités d’accueils. L’édifice public de l’enseignement supérieur s’effrite de plus en plus. Pourtant, les moyens financiers existent, comme le montrent les montants investis dans le crédit impôt recherche, les plans d’investissement avenir, les mille-feuilles administratifs (COMUE…), etc.
Les personnels et étudiants de l’UB, réunis en assemblée générale, ont débattu du « projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants ». Sous prétexte de mettre fin à la sélection opaque effectuée par la plate-forme APB, le gouvernement ouvre la voie à une autre forme de sélection tout aussi injuste, sans résoudre aucun des problèmes de fond qui pèsent sur l’enseignement supérieur depuis de nombreuses années. Chaque université pourra classer les lycéens en fonction de critères locaux et qui ne seront pas plus lisibles que ceux d’APB, ce qui risque de renforcer les inégalités sociales et territoriales. Surtout, la sélection s’opérera par le biais des capacités d’accueil, qui seront fixées en fonction du manque de moyens et pas en fonction des « attendus » des diverses filières. La définition de ces attendus pose de nombreux problèmes, notamment : ils éludent la responsabilité du système éducatif dans les lacunes des lycéens au regard des exigences académiques dans l’enseignement supérieur ; ils créent de fait des parcours cloisonnés ; ils vont encourager les stratégies de placement des élèves les plus à l’aise avec l’institution scolaire, et amener les autres à s’autocensurer. Leur objectif caché n’est autre que d’ajuster le nombre d’étudiants aux moyens.
Si l’orientation des lycéens vers la filière de leur choix est aussi complexe et laborieuse, c’est avant tout en raison du manque de moyens dévolus aux universités à l’échelle nationale. L’accueil de tous les bacheliers qui le souhaitent dans la filière de leur choix, de même que leur réussite une fois entrés à l’université, implique une augmentation massive des moyens matériels et humains. Rappelons que l’État dépense en moyenne 10 930 € par étudiant d’université, contre 15 100 € en classes préparatoires aux grandes écoles. Le préalable à toute réforme est de donner les moyens aux équipes pédagogiques et administratives de faire leur travail dans de bonnes conditions. Nous tenons à rappeler que le nombre de PSY EN — qui sont les personnels qualifiés pour orienter les élèves — est nettement insuffisant, et qu’en ce moment même c’est bien le gouvernement qui prend la responsabilité de fermer des Centres d’Information et d’Orientation.
Malgré de nombreuses oppositions qualifiées, à commencer par celle du CSE (Conseil supérieur de l’éducation, 9 novembre 2017), le gouvernement a engagé sa réforme dans l’urgence, pour une mise en œuvre dès la rentrée 2018. Dans les universités, les équipes pédagogiques et administratives devraient inventer en quelques semaines des parcours de remise à niveau sans aucune visibilité sur les conséquences de la réforme de l’affectation des étudiants, ni sur les moyens qui seront effectivement attribués, et selon quelles modalités. Nous refusons de faire les frais de la précipitation du gouvernement à se dédouaner de l’échec d’APB, et d’accepter des délais incompatibles avec une vraie réflexion sur les besoins des étudiants.
Nous réaffirmons :
- la nécessité de travailler tout au long du parcours au lycée à une orientation choisie, construite, accompagnée et évolutive, avec les moyens humains et financiers nécessaires ;
- le principe fondamental de libre accès à l’enseignement supérieur, avec son corollaire : le maintien du baccalauréat comme diplôme national et premier grade universitaire, garantissant l’accès de tous les bacheliers sur tout le territoire aux filières post bac et aux établissements de leur choix ;
- le refus déterminé des critères d’accès et de tout numerus clausus ;
- le refus de l’instauration de « blocs de compétences » en lieu et place des diplômes et des qualifications.
En conséquence, nous nous prononçons pour le retrait du projet de loi sur le premier cycle post bac et du « plan étudiants » qui l’accompagne, condition préalable à une réforme ambitieuse qui garantisse le libre accès de chacun.e au supérieur.